Marché des Capitaux Islamiques: Interview avec M. Ripert Bossoukpe, Sécrétaire Général du CREPMF
M. Ripert BOSSOUKPE est le Secrétaire Général du Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers. Sous sa direction, la zone UMOA est en train de se doter d’un nouveau cadre règlementaire relatif aux marchés financiers islamiques.
A travers cette interview exclusive accordée à IFC MAGAZINE, il situe les enjeux et les défis à relever pour le développement d’un véritable marché financier islamique dans la Zone UMOA.
Diplômé de l’INTEC Paris, immersion à la Harvard Law School et l’IESE de Barcelone, il peut être considéré aujourd’hui comme l’un des architectes de l’industrie des marchés des capitaux islamiques dans la zone.
IFC MAG: Pouvez-vous nous présenter le CREPMF ? Ses objectifs et missions ?
Le Conseil Régional de l'Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF) est un Organe de l'Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) chargé d’une mission générale de protection de l’épargne investie en valeurs mobilières et en tout autre placement donnant lieu à une procédure d’appel public à l’épargne dans l’ensemble des Etats membres de l’Union que sont le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
Ses principales missions et prérogatives sont : (i) l’élaboration des textes réglementaires du marché financier régional de l’UMOA, (ii) l’autorisation des opérations financières de levées de ressources sur le marché financier et de l’appel public à l’épargne, (iii) la surveillance des transactions à la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM), (iv) l’habilitation et l’agrément des Structures Centrales du marché et des intermédiaires commerciaux agréés, (v) ainsi que le pouvoir de sanctionner le non-respect des règles du marché.
Au plan international, le Conseil Régional est membre de l'Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (OICV), de l'Institut Francophone de la Régulation Financière (IFREFI) et de l’Islamic Financial Services Board (IFSB) depuis décembre 2016 en qualité de Membre Associé.
Il convient d’indiquer que suite à l’avis favorable de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de l’Union tenue le 12 juillet 2019, le CREPMF prendra la dénomination « Autorité des Marchés Financiers de l’UMOA (en abrégé AMF-UMOA) » au terme du processus de ratification par les Parlements des États membres de l’Union. Ce processus sera achevé au cours de l’année 2022.
IFC MAG: De plus en plus de pays africains s’intéressent aux émissions de sukuks. On pourrait citer des pays comme le Maroc, les pays de la zone UMOA, et un dynamisme dans certains pays comme le Nigeria et la Gambie. Quelles sont les opportunités de ces nouveaux instruments pour les pays Africains et en particulier pour la zone UMOA ?
Les Sukuk se définissent comme des certificats d’investissements conformes à la Charia. Ils se diffèrent des obligations classiques par la nécessité d’être adossés à un actif tangible spécifique et une rémunération adossée à une part de profit et non à un intérêt fixe.
Pour preuve de sa résilience, ce modèle de levée de ressources a été très peu affecté durant les récentes crises. Il permet non seulement, de répondre à des besoins éthiques, mais également de contribuer au financement des ambitieux plans nationaux de développement élaborés par nos Etats, à travers la mobilisation de capitaux importants à long terme et à moindre coût dédiés à des actifs tangibles.
Conscients des opportunités offertes par cet outil de financement, les Etats membres de l’UMOA que sont la Côte d’Ivoire, le Mali, le Sénégal et le Togo ont, à travers des émissions de SUKUK, levé plus de 864 milliards de FCFA sur le marché financier régional suivant les dispositions relatives à la titrisation de créances, en l'absence de cadre règlementaire dédié aux émissions de produits financiers islamiques.
Ces levées de ressources toutes sursouscrites et destinées prioritairement à des financements de projets sociaux, d’électricité et d’infrastructures (Parc de Diamniado au Sénégal, Infrastructures routières en Côte d’Ivoire et au Togo, logements sociaux au Mali), témoignent de l’appétit tant des investisseurs locaux qu’internationaux et des possibilités qui s’offrent à nos Etats.
Ces émissions de Sukuks et par le biais de la finance islamique de manière plus large, offrent de nouvelles alternatives au financement classique et contribuent par la même occasion à un meilleur financement de nos économies. La visibilité et l’attractivité de notre place financière s’en trouvent également renforcées.
Par ailleurs, la finance islamique s’avère être un vecteur de promotion et de vulgarisation du marché financier régional auprès de nos populations estimées à plus de 95 % de confession musulmane dans certains Etats membres de l’Union. Ce segment de la finance devrait dans les années à venir, constituer un instrument privilégié pour nos Etats et le secteur privé.
IFC MAG: Après les premières émissions de sukuks, nous constatons une accalmie dans la zone UMOA. Qu’est ce qui explique cette accalmie ? Manque d’attractivité ? Quelles sont, selon vous, les contraintes qui freinent le développement d’un véritable marché financier islamique susceptible de tirer les économies de la zone ?
Bien que les émissions réalisées aient enregistrées un franc succès, elles ont mis en exergue certaines limites dont la nécessité de renforcer l’éducation financière de nos populations et les compétences professionnelles des intervenants du marché financier régional sur la finance islamique.
En effet, les populations de l’UMOA bien qu’à majorité musulmane dans bon nombre des Etats membres sont relativement peu outillées et éduquées en matière financière et boursière de manière générale. La limite est encore plus forte concernant les produits financiers islamiques.
Par ailleurs, afin de mettre à la disposition des populations et des Etats, des produits islamiques adaptés répondant à leurs besoins, les intervenants commerciaux du marché financier régional se doivent d’être les pionniers de la finance islamique et doivent disposer d’une parfaite maitrise de ses contours.
Aux contraintes du renforcement des capacités des professionnels et de l’éducation financière des populations, s’ajoute l’absence de cadre règlementaire idoine. La finance islamique bien qu’elle offre de nouvelles perspectives de financement nécessite en l’absence de mécanisme adapté, une procédure plus longue et plus contraignante administrativement et juridiquement nécessitant plus d’intervenants.
Enfin la mise en place d’un mécanisme d’accompagnement s’avère nécessaire afin de pallier les insuffisances que sont le cadre juridique inadéquat, la tarification et une fiscalité marquée bien souvent par une double taxation.
IFC MAG: Parlant de contraintes, le CREPMF est engagé dans le développement d’un marché financier islamique dans la zone UMOA. On parle d’un projet de mise en place d’un cadre règlementaire pour les marchés financiers islamiques dans la zone UMOA. Quels en sont les points majeurs ? Et quels apports ce nouveau cadre pourrait apporter dans le développement du marché financier de la zone UMOA ?
Les travaux engagés, sous l’impulsion du CREPMF, pour doter le marché financier régional de l’UMOA, d’un cadre dédié au marché de capitaux islamiques ont déjà abouti à : (i) l'évaluation de l'environnement règlementaire actuel, ses faiblesses et opportunités, (ii) l’élaboration d’une feuille de route pour le développement d'un marché des capitaux islamiques avec des objectifs à court, moyen et long terme, (iii) la traduction en langue français des normes édictées par l’IFSB, et (iv) la production d’un rapport de politique générale pour le renforcement des capacités des intervenants et la promotion des produits financiers islamiques au sein de l'UMOA sur une période de quatre ans. Une méthodologie de mise en place d’indices financiers islamiques a également été élaborée.
Le projet de cadre règlementaire issu de ses réflexions a fait l’objet d’une consultation publique de l’ensemble de la place financière au cours du mois de septembre 2021 et devrait être finalisé au cours du premier trimestre 2022.
Ce cadre et l’ensemble des dispositions d’accompagnement visent à : (i) l’élargissement de la base des investisseurs, (ii) l’émergence de nouveaux acteurs spécialisés dans le segment de la finance islamique, et (iii) la diversification des sources de financement et des produits offerts sur le marché financier régional.
IFC MAG: Au-delà du cadre réglementaire, comment créer un véritable dynamisme pour le développement d’un écosystème de la finance islamique dans notre zone et en faire un véritable outil de développement et d’inclusion financière ?
Pour réussir cette réforme, l’implication de l’ensemble des parties prenantes y compris le secteur privé est indispensable.
En outre, sans une certaine synergie et une dynamique des secteurs financier, bancaire et de l’assurance, le marché de capitaux islamiques ne peut pas, à lui tout seul, permettre le développement d’un écosystème robuste et attractif.
Une certaine volonté politique et institutionnelle au sein de l’UMOA est également nécessaire afin de traiter des questions relatives, entre autres, aux procédures de rapatriement des fonds des investisseurs internationaux et à l’harmonisation de la fiscalité.
C’est l’occasion, d’exhorter les Autorités de l’Union à l’adoption d’un cadre fiscal de développement afin de faire de notre Union, un véritable Hub de la finance islamique.
IFC MAG: En tant qu’acteur majeur du secteur financier ouest africain, quelle est votre appréciation de l’édition inaugurale de « Islamic Finance Conversations » et quel pourrait être son apport dans la construction de cette nouvelle industrie ?
Les « Islamic Finance Conversations » tombent à point nommé et c’est le lieu de féliciter Dexterity Africa pour cette initiative qui contribuera à faciliter et surtout permettra de mieux s’informer et de se former sur les composantes de l’écosystème de l’économie islamique ainsi que ses opportunités.
Le chemin à parcourir est encore long et les actions de vulgarisation de la finance islamique au sein des populations sont à encourager.
Quelles que soient les innovations apportées par la règlementation, le véritable essor d’un outil est tributaire de la compréhension, de la perception qu’en ont les principaux acteurs et de la promotion qui en est faite. Une fois le cadre règlementaire mis en place, il appartiendra aux acteurs du secteur privé de se l’approprier.
Propos recueillis par Sory TOURE, IFC MAGAZINE
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